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L’immobilier, les banques canadiennes et les risques de baisse

Patrick Ceresna
28 mars, 2018
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L’immobilier, les banques canadiennes et les risques de baisse

Je veux plonger dans la question qui fait l’objet des débats les plus enflammés, celle d’une correction de l’immobilier canadien et de son incidence sur les banques canadiennes. Selon le consensus, les prix des maisons vont continuer d’augmenter à long terme et les risques directs auxquels sont exposées les banques sont limités puisque le risque de défaillance des emprunteurs hypothécaires pèse surtout sur les assureurs hypothécaires comme la SCHL et les assureurs privés comme Genworth.

Erik et moi avons eu l’occasion d’inviter Josh Steiner, chef du service de la recherche financière de Hedgeye, à l’émission MacroVoices pour discuter de ses perspectives sur l’immobilier canadien et, surtout, de l’incidence que ce secteur pourrait avoir sur les banques canadiennes. Voici un extrait de l’entrevue.

Erik : En fait, je suis préoccupé par cette question particulière : aux États-Unis, personne n’était à l’abri puisque quasiment tout le monde était exposé au papier commercial, sinon à l’immobilier même. Si je pense aux grandes banques canadiennes – comme la Banque Royale du Canada qui, comme chacun le sait, a été épargnée par la crise de 2008 alors que le reste du monde était aux prises avec d’importantes difficultés –, sont-elles exposées à ce genre de situation? Ou concerne-t-elle seulement les prêteurs hypothécaires au pays? Où se trouve le risque, où se trouvent les positions de vente, quelle opération de placement devrait-on réaliser ici?

 
Josh : Je pense que la réalité est un peu différente dans ce pays. Je ne crois pas que vous ayez une bombe à retardement sous la forme de titres garantis par des créances (les « CDO », en anglais) et de titres garantis eux-mêmes par des titres garantis par des créances (les « CDO-squared ») sophistiqués, qui entacheraient le bilan du système bancaire dans son ensemble.

 
Cependant, je trouve que vous avez un degré énorme de risque de concentration qui émane des hypothèques de premier rang et de deuxième rang dans l’ensemble des six grandes banques. Comme je le disais un peu plus tôt, je pense que l’économie canadienne roule maintenant en grande partie sur un seul cylindre, propulsé par la bulle immobilière.

 
Et du point de vue des valorisations, plusieurs de vos grandes banques – parmi lesquelles la Banque Royale, que vous venez de mentionner – ont des valorisations plus de deux fois la valeur comptable corporelle.

 
Alors, pensez à ce que je disais plus tôt, soit le fait que lorsque les prix des maisons s’apprécient rapidement, vous avez les plus faibles taux de défaillance. C’est une fonction absolue. C’est comme l’équivalent économique d’une loi physique, comme la gravité. Lorsque les prix augmentent rapidement et qu’une catégorie d’actifs prend de la valeur, il va de soi que les taux de défaillance seront très faibles. Et c’est exactement ce qu’on a observé au cours des 12, 18 et 24 derniers mois pour l’ensemble des grandes banques canadiennes.

 
Ce que nous voulons dire, c’est que, lorsque les prix augmentent moins rapidement – et ce serait encore plus grave s’ils devaient baisser – ces taux de défaillance vont augmenter. Et à mesure qu’ils augmenteront, les banques vont devoir provisionner ces pertes sur prêts, ce qui va nuire à leur capacité de dégager des bénéfices.

 
Un peu comme je le disais au sujet du marché immobilier, lorsque les mentalités passent d’une phase où les gens considèrent l’habitation comme un bien de consommation – il faut avoir un toit sur la tête – à une autre phase où ils la voient comme un bien dans lequel investir – mes amis et ma famille ont fait tous ces profits grâce à l’immobilier, je devrais y investir moi aussi. Puis soudain, le marché s’effondre, et les maisons redeviennent un bien de consommation.

 
L’investissement dans les titres bancaires n’est pas différent. Lorsque tout va bien, on négocie ces titres en fonction des bénéfices. Lorsque les choses commencent à se gâter, les cours se mettent à converger entre les ratios cours-bénéfice et la valeur comptable. Et lorsque ça va mal, on oublie la valeur comptable et on négocie en fonction de la valeur corporelle. Et alors ça devient une question de savoir jusqu’où, pendant combien de temps et à quelle vitesse les titres peuvent chuter. Et on se demande alors quel niveau de dépréciation appliquer aux éléments d’actif corporel.

 
Selon notre réflexion, dans un marché qui commence à ralentir après s’être apprécié de manière record, et tandis que les défaillances sont aux niveaux les plus faibles jamais connus et qu’elles sont sous-estimées, et que les titres bancaires le reflètent (en s’échangeant à plus de deux fois la valeur comptable corporelle), et qu’on pense que la capacité de dégager des bénéfices se trouve exposée à un risque important parce que les défaillances vont augmenter, alors je pense qu’il y a un important potentiel de baisse.

 
Et à mon avis, il suffira d’une petite correction du prix des propriétés pour que la capacité des banques de partout au pays à dégager des bénéfices soit fortement affaiblie. Dans ce scénario, la situation pourrait basculer très rapidement d’une négociation qui s’effectue à des multiples cours-bénéfices élevés à, soudain, une situation où l’on se demandera où sont passés les bénéfices. Ces derniers diminuent ce moment. Peuvent-ils devenir négatifs pendant un certain temps? C’est pourquoi je négocie en fonction de la valeur corporelle. Et cela équivaut à une baisse possible de 50 % à 60 % pour la plupart de ces banques.

 

 

Ainsi, il n’est pas vraiment nécessaire d’être exposé à une masse d’obligations structurées adossées à des emprunts susceptibles de ne pas être remboursés pour créer un important risque de baisse lorsque la négociation s’effectue à des multiples plutôt élevés.

 

 

Que vous soyez ou non d’accord avec Josh, on ne peut pas nier certains faits élémentaires. D’abord, l’immobilier canadien dans son ensemble a atteint son sommet en avril 2017. Certains marchés ont déjà subi des corrections de plus de 20 %. À un certain moment, les titres des banques canadiennes vont commencer à pâtir du ralentissement de l’activité de prêt hypothécaire et de l’augmentation des défaillances. Je suis d’accord avec la plupart des optimistes et ne crois pas que cela entraînera la faillite de banques au Canada; mais on peut craindre que cette situation puisse peser lourdement sur les bénéfices. Et c’est cela qui crée de l’incertitude pour les investisseurs.

Dans ces conditions, pourrions-nous voir les banques se négocier près de leur valeur comptable corporelle? Pour ma part, je ne suis pas prêt à exclure cette éventualité.

 
Que peut donc faire un investisseur canadien qui a placé beaucoup d’argent dans les titres de banques canadiennes? Bien entendu, si son portefeuille est surpondéré dans ce secteur, il peut simplement le rééquilibrer de manière à rétablir une exposition plus conforme à sa répartition cible, voire à une sous-pondération. Pour beaucoup d’investisseurs, des considérations comme l’imposition du gain en capital et l’interruption du flux de dividendes si les actions ne sont pas remplacées constituent toutefois un obstacle.

 
C’est ici qu’un investisseur peut apprendre à utiliser les options de vente pour couvrir un risque inhabituel. Je pense que la plupart des investisseurs à long terme estiment que des fluctuations de 10 % à la hausse ou à la baisse ne sont rien d’autre que du « bruit ». Le risque véritable réside dans un marché baissier où l’action perdrait plus de 20 %.

 
Mon moyen préféré de se prémunir contre une telle situation consiste à utiliser un tunnel. Si vous ne connaissez pas bien cette stratégie, vous pouvez consulter un excellent résumé publié par la Bourse de Montréal : https://www.m-x.ca/f_publications_fr/strategy_collar_fr.pdf

 
Pour notre exemple, nous utiliserons la Banque Royale (TSX : RY). La question que nous pouvons nous poser est la suivante : comment créer une protection quasiment sans frais au moyen d’un tunnel pour supprimer tout le risque de baisse au-delà de 10 %?

 
• Le titre de la Banque Royale s’échange à 99,21 $ le 23 mars 2018
• L’option d’achat couverte juillet 2018 à 105,00 $ rapporte 0,85 $ (cours acheteur)
• L’option de vente de protection juillet 2018 à 90,00 $ coûte 1,10 $ (cours vendeur)
• Coût net : débit de 0,25 $

 

 

Cette opération de conversion du risque d’action permet à l’investisseur à long terme de demeurer investi et de continuer à toucher des dividendes sans entraîner de disposition au sens fiscal. En même temps, l’investisseur a la possibilité que l’action renoue avec ses hauts de l’année et il supprime tout risque de baisse du titre en deçà de 90,00 $, soit environ 10 % de moins que le cours actuel. Pour les investisseurs qui désirent détenir leurs titres bancaires à long terme, mais qui éprouvent cependant des inquiétudes dans le court terme, cette stratégie du tunnel offre une solution de rechange à la vente pure et simple des actions.

 

 

Dans un billet à venir, j’explorerai les points d’intervention pour gérer un tunnel une fois que vous l’avez mis en place.

 

Patrick Ceresna
Patrick Ceresna http://www.bigpicturetrading.com

Gestionnaire spécialisé en produits dérivés

Big Picture Trading Inc.

Patrick Ceresna est le fondateur et le conseiller en chef en matière de stratégies boursières de Big Picture Trading. Il est aussi coanimateur des balados MacroVoices et Market Huddle. Il détient les titres de Chartered Market Technician (technicien agréé du marché), de gestionnaire spécialisé en produits dérivés et de gestionnaire de placements agréé. En plus de ses fonctions à Big Picture Trading, M. Ceresna offre une formation sur les produits dérivés de la Bourse de Montréal, membre du Groupe TMX. La formation, qui s’adresse aux investisseurs et aux professionnels en placement de partout au Canada, porte sur les nombreuses fonctions utiles des options à l’intérieur d’un portefeuille de placements. Patrick se spécialise dans l’analyse des conditions macroéconomiques du marché mondial et dans la manière de convertir ces dernières en occasions de placement et de négociation concrètes. Sa connaissance avancée de l’analyse technique lui permet d’établir des liens entre les différents thèmes macroéconomiques dans le but de suggérer des stratégies de négociation à mettre en œuvre. Fort de solides connaissances en négociation d’options, il recherche des occasions de placement à profil de risque et de rendement asymétrique qui permettent de tirer avantage des rendements, tout en cernant et en gérant le risque ou en générant des revenus accrus et stables. Patrick a conçu et il enseigne activement les programmes de maître offerts par Big Picture Trading sur les aspects techniques de la négociation, la négociation d’options et la macroéconomie. Il fournit également aux membres le contenu des webinaires quotidiens d’analyse du marché en direct, des services d’alerte et des modèles de portefeuille.

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